 Performance

Tuto make-up pour devenir une chimère misandre


Performance-rituel 

Création en mars 2022 à l’Université Paris VIII
Colloque “Corps, Genres, Images” 
Huile de sésame, miel, argile, rouge à lèvre, plumes, enregistrement sonore, téléphone, Instagram
(15 minutes)




















Photographies par Anna Levy



Janvier 2023 au Sample (Bagnolet)
Soirée artistique “Métamorphes. Des rites de passage qui n’en finissent pas de passer”
Organisée par le Laboratoire Corps, genre, art.
Huile de sésame, miel, argile, rouge à lèvre, plumes, enregistrement sonore
(15 minutes)






















Photographies par
Isaline Dupond Jacquemart
et Asma Bousbai



Camoufler les imperfections
Couvrir
Masquer
Masque
Colorer la peau, les cils, les poils, les muqueuses
Se parer de couleurs, de textures, d'effets
Effet super glowy
Couvrance totale
Briller
Courber
Recourber
Allonger
Volume extrême
Se préparer
Se transformer
Changer
Grandir
Grossir
Devenir énorme
Devenir monstre
Devenir monstresse
Devenir ogresse
Devenir d'autres choses
Devenir autre chose

C'est déjà là
On s'invente juste de nouvelles injonctions, mais c'est déjà là.

Avec l'huile, nourris-toi.
Avec le miel, adoucis-toi.
Avec la terre, ancre-toi.
Avec les plumes, convoque les autres.

Deviens animalE à mille têtes duveteuses, oiselle, harpie, sirène aux pattes assérées.
Tuto makeup pour devenir une chimère misandre.

1. L'HUILE

Avec l'huile, on brille. On brille au soleil et sous la lune. On luit dans le noir. Dans la ville. On peut briller autant qu'on veut. On réfléchit. On reflète. On peut marcher, on nous voit. On se voit les unes les autres. Les uns les autres. On glisse. Ça facilite les caresses. Les corps luisent presque comme dans le porno. On effleure, on touche, on prend soin, on sent, on masse, on chauffe, on tape, on tapote. On guérit, on soulage. On trace le contour des muscles, on les rend un peu plus visibles, un peu plus saillants, on les sent, on prend conscience, on rassemble nos forces, on constitue nos parures, on s'hybride. Sous les mains chauffées par l'huile et le frottement, les omoplates vibrent, les os vrombissent, le corps chante et bientôt des ailes pousseront. Quand je l'ai touchée au milieu du dos, une larme a coulé sur sa joue. Au même endroit, j'ai eu ma première plume.

Salope – issu du vieux français sale huppe – la huppe correspondant à un oiseau associé à la saleté et à la puanteur, vraissemblablement à cause de son nid, réputé puant. Le reste suit : cocotte, bécasse, bécassine, dinde, oie blanche, grue, poule, poulette, pie, pipelette, dinde, pintade, vieille chouette et le tour est joué. Voilà pourquoi les plumes.

2. LE ROUGE À LÈVRES

J'ai une bouche pour parler. Elle peut aussi crier, chanter. J'y arrive mieux lorsqu'elle est cerclée de rouge ou de violet. Décorée, prête pour la bataille, pour les chants. Bouche de putain. Bouche en colère. Le rouge pour montrer la bouche, les lèvres, grossir les traits, l'ouverture, manger, grogner, montrer les dents, faire peur, accueillir les cris, tout inspirer et tout crier. L'air rentre et circule au dedans. La colère peut sortir et être entendue, complètement. Les cris, les rires, les chansons, les mots. J'ai dû réapprendre à faire tout ça. À respirer, à crier, à chanter. À chaque fois je dois pousser les moutons qui se forment au fond de ma gorge, qui m'étranglent et qui empêchent les sons de sortir. Les peintures, les plumes, le masque, les autres, le rouge, tout ça, ça aide.

Sybilles, tout sort de nos bouches. Aussi les mots tendres, on a pas désappris ça, mais on les garde pour nos amant⸱es et nos ami ⸱ es blessé⸱es .


« My body is a living temple of love »


3. LE MIEL

Avec le miel, on s'adoucit. Devenir-sucré⸱e, devenir-comestible. Devenir liquide. Devenir fluide. Devenir collant⸱e . On colle. On rend visible. On colle aux murs et on colle aux autres. On crée du lien. On rassemble. On maintient ensemble. Butiner ma propre peau. Et puis la tienne. La nourrir. Me nourrir. Se nourrir les uns les unes les autres. On se colle les unes aux autres et plus personnes ne pourra nous défaire. Déjà, une deuxième tête me pousse. Du coin de l'oeil je me dis : fusion indéfectible par sororité collante et dégoulinante.

4. LA TERRE

La terre sert à s'ancrer. La boue fraîche sur la peau rougie de colère, de fatigue, de stress, de charge mentale, émotionnelle, sexuelle et j'en passe, et parfois proche du burn-out, la terre te fait du bien. Appliquer de la terre sur le haut du corps permet de faire le lien entre les veines du front et les racines sous les pieds. Ainsi les énergies circulent mieux et l'on est plus propice à capter la lumière de la lune. Le devenir-plante peut mettre un certain temps à se faire sentir mais ça vient, les fourmillements au bout des doigts m'indiquent déjà une repousse et la plante des pieds craquelle un peu. C'est bon signe. On peut marcher sur la terre, y enfoncer ses pieds, ses orteils, ses talons... Un jour on pose la question : toutes les choses que nos corps savent faire. Elle dit : « je sais m'ancrer. Marcher longtemps. Sentir la terre sous moi, qui me soutient, me porte, me permet de m'appuyer, d'avancer. J'ai appris à faire ça quand je suis partie marcher toute seule. Mon corps sait faire ça. » Alors sa chair devient terre et des plumes sortent de nos peaux vertes.


« My body is the body of the godess »


5. LES PLUMES

Je convoque les adelphes un à une. Nom par nom. Plume par plume. À mesure que je me pare, c'est elleux que je porte sur les joues, le nez, le front, le menton, le cou, les cheveux, la poitrine, les épaules. En même temps, iels me portent. Charger le monde d'intentions. Charger le corps d'intentions. J'ai des jambes pour marcher en manif. Des jambes pour danser et courir dans la nuit. J'ai peur, et mes jambes, bien que poilues, se dérobent encore un peu sous mon poids. Alors je m'appuie sur les tiennes et on se porte, on a quatre pattes, ou six, ou huit, ou des centaines et des centaines. Les bras aussi se sont multipliés et « nous sommes un corps géant à plusieurs têtes, une femme géante à plusieurs voix » quand tous nos bras lae portent et que sa tête retombe en arrière, et qu'iel souffle, et qu'iel crie, et qu'iel chante avec nous.

On flotte un moment comme ça, et nous voilà rassemblé⸱es . Vraiment rassemblé⸱es. Mon mètre soixante-trois, mes poings que j'ai du mal à serrer et ma voix étranglée au fond de ma gorge me semblent bien loin. On est là, pluriel⸱les, queer, fier⸱es, puissant⸱es, magnifiques, prêt⸱es à marcher, à crier, à souffler, à gueuler, à chanter, à se battre. Le masque déborde de mon visage. Je suis plus grande, plus énorme. C'est toujours moi, mais iels sont toustes avec moi, dans chaque, plume chaque mot. Mon corps est chargé des énergies de celleux qui sont avec moi, convoqué⸱es , quand je construis le masque, quand je dessine les peintures de guerre, quand je me prépare à sortir, et à aller marcher.


« I am what I am »


Avec le rouge à lèvres, le miel, la terre, l'huile, les paillettes, les confettis, les poils, les plumes, les feuilles, les vers de terre, les gouttes de pluie, les fringues, le coton, les seins, les tétons, les dessins, les chansons, les animalEs, les livres, les mots, les cailloux, le sang, la peinture, les teintures, la broderie, les prothèses, les godes, les coquillages, les astres, les cartes, les hormones, les affiches, les slogans, la science, les voix, les herbes, les cornes, les ailes, le tricot, les podcasts, les oranges, les hyènes, les dents, le ciel, les licornes, les monstres, les cyborgs, les chimères, les oiseaux, les oiselles, les noms d'oiselles, les mythes, les histoires, la préhistoire, les ordinateurs, la lune, internet, le porno, la poésie, les tutos make-up, les tutos make-up, et les tutos make-up.


« My body is the living temple of love
My body is the body of the godess
I am what I am »