Performance
Recouvre-moi de ton féminisme
Lecture performée
Création en septembre 2021 à Mains d’Oeuvre (Saint-Ouen)
Exposition “Ras la moule de la Censure”, Gloria Collectif
(10 minutes)
Photographie par Mathilde Leïchlé
La semaine dernière, alors que je n’arrivais pas à écrire ce texte, je me suis réveillée une nuit, persuadée d’avoir trouvé une idée géniale. Alors je me suis levée de mon lit, j’ai griffonné quelques mots dans le noir et me suis recouchée, contente.
Le lendemain matin, je me suis relue. J’avais écrit :
“Elle est couverte de mon féminisme comme d’une éjaculation fine, un océan de paillettes
politiques.”
Cette phrase est vraiment géniale, mais elle n’est pas de moi. Je l’ai lue dans Testo Junkie de Paul B. Preciado, à la page 91. Je n’ai pas ouvert ce livre depuis longtemps, mais cette phrase est venue à moi. Alors je propose de me laisser couler autour d’elle et de voir ce qui jaillit de ma bouche et de mes doigts, entre autres.
(Je me vois te recouvrir de mon féminisme. Il n’est pas parfait, il n’afflue pas dans toutes mes veines comme je le voudrais, il n'inonde pas encore tout à fait tous mes mots et toutes mes pensées, il ne sort pas par tous les pores de ma peau, mais je crois que je te recouvre quand même, déjà, un peu, de tout mon féminisme imparfait.)
Avec mes doigts je fais le contour de toi, avec ma langue je fais le contour de toi, avec ma peau je fais le contour de la tienne et avec mon féminisme je nous enveloppe, je nous recouvre toustes les deux.
Je t’embrasse avec la bouche pleine d'engueulades, de colères et de luttes, de confessions, de mots d'amour et d’insultes. Je te caresse avec les mains pleines de tendresse et de fatigue, de travail et de marques, d’écriture et de frustrations. Je t’enjambe avec mes
cuisses pleines de poils et de force et de muscles d’avoir tant marché et couru et gueulé et dansé et eu peur.
Sur mon ventre tu suis la marque du jean trop serré.
Sur tes lèvres et dans ta bouche je glisse un doigt.
<chuchoté>
“Son bassin se colle au mien, sa vulve est branchée à la mienne, nos sexes se mordent
comme les gueules de deux chiennes qui se reconnaissent.”
Et je vois les mots, les idées, les noms, les récits, les livres et les cris dégouliner le long de ton corps, couler depuis mon doigt vers ta bouche et sur ton torse, ton dos et entre tes fesses même.
<chuchoté>
“Pendant qu’on baise, je sens que toute mon histoire politique, toutes mes années de
féminisme avancent directement vers le centre de son corps pour s’y déverser, comme si
elles trouvaient sur sa peau leur unique véritable plage.”
Je verse sur toi des gouttes et puis des litres de mon histoire politique, je déverse sur toi toute ma joie, ma rage, ma honte, mes traumas, ma fierté, mes désirs et mes plaisirs de gouine, queer, pute, de meuf bie, meuf violée, meuf abîmée, meuf misandre, meuf amoureuse, meuf féministe.
Et si je suis tout ça, mon corps aussi doit l’être. Et ma salive et ma mouille et ma pisse et ma sueur le sont aussi. Et c’est mon féminisme qui te coule dessus quand on baise. Ce sont des vagues politiques qui te coulent entre les lèvres quand je jouis.
<chuchoté>
“Quand je jouis, Wittig et Davis, Woolf et Solanas, la Pasionaria et Kate Bornstein,
bouillonnent avec moi.”
On presse nos torses brûlants, les seins s’écrasent et nos sexes s’aimantent l’un à l’autre, nos jambes se mélangent, nos frontières se brouillent. Le nez dans l’oreille, le cou, la poitrine, le nombril et l’aine. Le nez dans les poils. Ca sent l’orange et le bord de mer, ça sent la transpi, l’humide et le sexe chaud. On baise nu.es et à deux, mais avec nous, toustes les autres. Les peaux neuves et les anciennes, les textes, les livres, les vivant.es et les mort.es, nos ex.es et nos amants, nos amantes, nos crushs et nos fantasmes. Je te branle avec mille mains en fait.
Bien sûr que le cul est politique, et plus mon cul est gros et plus je l’aime, même si
concrètement je ne le vois pas, mon cul. Toi tu le vois, et je le vois à travers tes yeux, ton regard. Ça me ramène à mes vieilles habitudes hétérosexuelles, de tout voir avec des yeux qui ne sont pas les miens. De me voir en train d’être baisée par les autres, et jamais de les voir être baisé.es par moi, et jamais de les regarder me baiser depuis mon regard, depuis mon point de vue. Je me suis vue, cambrée et haletante, depuis le pas de la porte, trop longtemps.
Quand j’y pense,
“Ça m'arrache un peu la peau à chaque fois.”
Par ce que tu comprends j’ai mis du temps avant de descendre les yeux vers celle ou celui qui me lèche. J’ai mis du temps à trouver ça beau, ces cheveux encastrés comme ça entre deux cuisses pleines et les yeux qui parfois croisent les miens et le ventre sous les mains qui accrochent la chair. J’ai mis du temps à trouver ça beau ce bras cette main qui disparaît
dans mes poils de chatte et son corps tout entier qui émerge de mon bassin et devient ma bite, ces gémissements étouffés par ma vulve qui appuie contre sa bouche. J’ai mis du temps à aimer le goût de ma mouille sur les doigts de quelqu’une d’autre aussi.
<chuchoté>
“Jusqu’à ce que je jouisse dans sa main, jusqu’à ce que ma main jouisse dans sa bouche”
Je m’éloigne enfin du pas de la porte. Je vois avec mes yeux quand je frotte mon téton contre son gland et qu’on durcit ensemble. Pour le voir je dois rouler la tête, mon menton se mêle à ma gorge il se répète plusieurs fois et je me contorsionne un peu pour mieux voir. Je fais le dos rond. L’autre ne voit pas, c’est une image juste pour moi mais qui je crois mérite d’exister ailleurs, c’est à moi.
Il y a le bout rose qui se fonce et qui se dresse à mesure qu’il roule sur son clito brillant et épais, rose un peu plus clair, qui se raidit et se tend contre mon sein. En glissant dessus j’étale mon féminisme tout autour et il déborde de plaisir.
Je vois mon sein perler de mouille et de salive - celle de qui ? - et d’un féminisme qui me fait bander rien qu’à y penser.
Je vois un féminisme qui me parle de trois doigts et un menton recouverts de règles, de masturbation contre son oreiller, d’impudeur mais de respect, de consentement, de ne pas avoir d’orgasme et de s’en foutre, de faire payer un câlin ou une pipe parce qu’on l’a décidé, un féminisme qui me dit que ma main est un gode, que ta main est un gode, que ton pied est un gode, que ses talons aiguilles sont des godes, que sa bite est un gode, que son poing est un gode, que Barbie est un gode, que tous les légumes et toutes les brosses à dents du monde sont des godes et que si je veux je peux m'empaler sur chacun d’entre eux.
Si je vois tout ça sur un téton recouvert de liquides chauds et collants, c’est parce que de tout mon féminisme je te frôle, je te recouvre. Mon féminisme lubrifie tes caresses et me permet de voir et de sentir, avec mes yeux, mon regard.
Je me sens un peu absurde de te dire ça, mais c’est le féminisme qui me fait bander. Savoir que nos regards se mélangent et s’opposent, se font face quand on se fait face. De savoir qu’on peut échanger, qu’on peut essayer, qu’on peut switcher, que je peux être ta chienne et toi la mienne un peu plus tard, qu’on peut être plusieurs choses à la fois, cocher toutes les cases, ne pas choisir. C’est le féminisme qui me fait mouiller, qui me donne envie, de toi et d’autres, quand on baise, quand on baise pas, quand on arrête de baiser.
<chuchoté>
“Le plaisir découle de cet agencement des puissances, hiérarchie de fonctions dont la
stabilité est nécessairement précaire.”
Je laisse couler mes doigts sur le clavier, ma voix dans le micro et mes mots dans ceux de quelqu’un qui a déjà écrit tout ça mieux que moi. Ça fait quatre ans que je me laisse couler dans ce livre et dans tes bras couverts de veines dans lesquelles coule un féminisme différent. Je m’y plonge, je le goûte, je m’y baigne, je le bois. Je m’abreuve à ton bassin comme à un lac, je suis recouverte de ton féminisme. Et quand tu jouis, ça fait des vagues et ça me donne de la force.
<chuchoté>
“Elle est couverte de mon féminisme comme d’une éjaculation fine, un océan de paillettes
politiques.”