 Performances

Baubô baragouine












Selfies en Baubô, avril 2024


Chapitre 1 : Baubô baragouine

Caroline Dejoie vit, travaille et aime la figure de Baubô depuis environ un an. Baubô
est un personnage mythologique peu connu, qui apparaît parfois en quelques lignes
dans le mythe de Déméter, déesse de la nature. Alors que sa fille Perséphone est
enlevée par Hadès qui la viole et la séquestre aux Enfer, Déméter s’effondre de
chagrin et de colère. Elle erre sur la terre en hurlant sa détresse et le prénom de sa
fille. C’est alors qu’elle rencontre Baubô. Celle-ci apparaît sur son chemin et lui offre
à manger. Et puis, se tenant devant elle, elle soulève sa jupe et dévoile sa vulve tout
en explosant d’un rire dit hystérique. Ce geste fait rire Déméter et lui permet de
poursuivre sa quête et bientôt retrouver sa fille.


Tentative de performance introduite par la lecture du poème figurant dans la notice “Baubô”, co-signée avec Claire Salles dans le Brouillon pour une encyclopédie féministe des mythes .


Création en juin 2023 à Mains d'Œuvres (Saint Ouen)
Exposition collective “Not all mythes ? Journée joyeuse et féministe autour des mythes” des Jaseuses

Récitation et déambulation
La tentative devra avoir lieu dans un espace propice au calme et à l'intimité, dont il doit être possible de sortir facilement en cas de gêne
La tentative s'adresse aux femmes mais tout le monde peut y assister

(Environ 15 minutes)

Photographie de Vanessa Ardouin


Note d’intention : 

Baubô amie. Elle est celle qui fait rire Déméter lorsqu’elle celle-ci est désespérée. C’est une
amie qui permet d’avancer quand on est face à l’obscurité, quand on perd le goût de la vie,
quand plus rien ne pousse. Son rire est jugé absurde, laid et lubrique. Ici je l’associe à la
joie, à l'amour de soi, et aux amoures déviantes. J’adresserai cette performance à mes
amies mes amoures, j'aimerais les faire rire.

Baubô fem. Baubô est associée à une féminité obscène et impudique. Son sexe "maquillé
en visage" (chez Salomon Reinach, 1912) associé à son rire "grimace", font ensemble signe
du côté du monstre. Cette féminité monstrueuse résonne avec les identités lesbiennes fem,
performant des féminités outrancières qui débordent de tout cadre normatif et adressées à
soi et/ou à d'autres femmes Ma version de Baubô est fem girly pop ,  “diva déesse”,
excessivement et monstrueusement féminine. Je porterai ma robe patineuse dorée, je
montrerai ma vulve avec malice à d'autres femmes.

Baubô parle. Si Baubô est surtout caractérisée par un geste (elle montre sa vulve), elle est
aussi définie par son rire, et le parallèle entre ses deux “bouches” est évident. L’étymologie
de Baubô peut renvoyer à une onomatopée dérivée de l’aboiement du chien (Georges
Devereux, 1983), symbole d’un langage inarticulé volontiers associé du même coup à celui
des animaux et des femmes. Baubô bavarde, baragouine, aboie pour ne rien dire. Si elle ne
parle pas dans la version originelle du mythe, ici oui. Je saisis l’opportunité de réparer ma
relation à ma bouche, et aussi, de prendre parole. J’aboierai comme une petite chienne. Je dirai mon texte à voix haute, malgré la peur et les tremblements, je montrerai ma bouche abîmée.


Inspirations amies :

Annie Sprinkle, Public Cervix Announcement, performance, New York, 1990

Deborah de Robertis, Miroir de l'origine, performance, Musée d’Orsay, Paris, 2014

Itziar Ziga, Devenir chienne, Cambourakis, Paris, 2020

Hélène Gugenheim et Lucile Olympe Haute, Nous sorcières nous performeuses, "Et de nos
bouches sortent des diamants, des crapauds et des rires", Crest, 2020

GYNEpunk, groupe d'activistes féministes queer catalan⸱es

lou dimay, “Je rétrécie”, texte offert, 2023



(je lis assise au sol, les jambes en losange)

“Je dessine Baubô légère et l’air serein, sur un pied et le manteau tombé, comme une diva
déesse.
Baubô rigole doucement, Baubô s’en fout, Baubô se trouve drôle et belle. Baubô danse,
Baubô flotte. Baubô me fait rire, me porte chance et me porte joie.
Si Baubô leur fait peur alors tant pis pour eux.
On dit qu’elle repousse les démons. Sur les murs des églises, elle s’appelle Sheela na gig.
Je la cherche en Irlande. Je ne la trouve pas, je l’aime encore plus - je me dis que je dois
être un démon. Les yeux plissés, la vulve rieuse, au-dessus de mon miroir de poche.
Je raconte aux cop(a)ines, leur montre, je me sens un peu Baubô.”

(je reste assise au sol les jambes en losange)

J’ai envie de rire. J’ai envie de joie. J’ai envie de jouer. J’ai envie de porter ma robe à
paillettes. Comme une diva déesse. (Qui montre ses fesses) (enfin sa chatte).
J’y trouve de la puissance et je voudrais te la partager.

(je me lève peut-être)

Baubô c’est la chatte. Mais vraiment, la teuch, la vulve. Baubô signifie utérus ou vulve.
Mais Baubô c’est aussi la chienne. Baubô Bau Bau Aow Aow Wouf Wouf (je fais la petite
chienne) Baubô c’est l’aboiement, le langage des animaux bêtes, inarticulé et impudique. (je
fais la petite chienne) C’est tout ce qu’on bavarde et tout ce qu’on jacasse quand on se
retrouve en terrasse et qu’on rit, et qu’on piapiapia et blablabla parce qu’on ne s’est pas
vues depuis longtemps et qu’on a plein de choses à se dire.

(je remonte ma jupe mais pas complètement)

Je n’essaie pas de te mettre mal à l’aise. Je te demande pardon si c’est le cas. Tu peux
simplement regarder, être interdite, gênée, confuse, c’est OK. Tu peux rire, j’ai envie de
glousser avec toi. Tu peux détourner les yeux et puis ça m’ira très bien aussi.

(je circule dans l’espace jupe relevée sur sexe nu, bouche ouverte, l’air joyeux)

Je montre mon sexe et je montre les dents. Pour rire.
Je n’ai pas de bonnes dents. Elles tombent. Ma bouche est le lieu de toutes mes
inquiétudes. Ma mâchoire, le lieu de toutes mes angoisses. Tu les vois pas mais ma bouche
est pleine de cicatrices. Ma langue est épaisse et abîmée. Elle a été coupée et recousue.
Parfois j’ai honte, peur de rire, de sourire et d’embrasser. J’ai peur de puer, je fais des bains
de bouche et j’ai peur des dentistes.

Je ne formule pas de jugement à propos de ma vulve. J’en ai perdu l’habitude mais je l’ai fait
longtemps, je me souviens les lèvres trop grandes et la peur d’être différente et cet abruti qui
m’avait dit que j’avais UNE GROSSE CHATTE et j’en avais pleuré. Mais je t’avais raconté et
tu m’avais raconté, on avait baragouiné pendant des heures, et puis après ça allait mieux,
ça m’avait fait du bien de te dire.

J’ai mis de l’huile sur mes poils et du baume sur mes lèvres.

Régulièrement, je contemple. Accroupie sur mon miroir de poche. Debout devant mon miroir
en pied. Ou bien je fais une photo pour voir.

Je voudrais être Baubô. Baragouiner toute la journée, rire pour rien et relever mes jupes
pour déconner. Pour te faire rire, pour te faire sourire. Pour me faire rire, pour me faire ouvrir
la bouche, grand et large, immense avec mes mauvaises dents tout autour et m’en foutre !!!!
Et que ça nous fasse du bien !

(je m’assieds jambes écartées, bouche ouverte, l’air joyeux)

Je n’ai pas honte.

Après l'opération je baragouinais un peu trop. On m’a fait faire des séances d’orthophonie
pour réapprendre à parler. Les D et les T ça a été le plus dur ma langue blessée ne savait
plus faire, je devais répéter chaque soir :
DÉDÉ DÉVALE LA PENTE À DOS D'ÂNE
et il y avait une suite mais je ne m’en souviens pas, c’était long.
J’avais 15 ans, j'étais à l’internat et tous les soirs les 25 copines du couloir du deuxième
étage du bâtiment des secondes m’entendaient parler de DÉDÉ en rigolant. On vivait
chacune dans 8 m², des rideaux bleus en guise de portes. Il y avait des dramas et des
engueulades, il y avait des rumeurs et des confidences, j’avais mes premiers crushs mais je
le disais à personne, il y avait des rires et des cris, on faisait des farces, on baragouinait à
longueur de semaines, on mangeait, dormait, se lavait les dents ensemble. Intimité zéro,
c’est là que j’ai grandi.

Depuis que j’ai grandi, je ne porte plus de jeans car ça m'asphyxie la vulve Depuis, qu’on
m’a réappris à parler, je n’ouvre pas bien la bouche et j’ai peur de ma voix. J’hyperventile ou
bien je me tais ou j’ai les larmes aux yeux alors que je voudrais hurler, ou rire, ou gueuler, ou
simplement prendre la parole. Je ne sais pas ce qui asphyxie ma bouche mais j’entreprends
aujourd’hui de m’en défaire.. Je voudrais respirer mieux, je voudrais parler mieux, je
voudrais rire plus.

Je voudrais PRENDRE PAROLE.
Les pieds bien ancrés dans le sol.
L’air me traverse.
Le son me traverse.
Je te l’adresse.

(je me relève, je circule dans l’espace jupe relevée sur sexe nu, et cette fois je parle en même temps)

J’ai mis de l’huile sur mes poils et du baume sur mes lèvres.
Je me nourris et je me trouve belle. Comme une diva-déesse (qui montre ses fesses).
Grâce à Baubô je nous réconcilie.
Grâce à Baubô je prends parole.
Je voudrais te dire que nos gouineries nos baragouineries m’enchantent.
Je voudrais te dire que tu me plais.
Je voudrais te dire que tout ira bien.

De ma bouche je te le dis : je t’aime
De ma bouche je te la donne : la joie !


Photographies d’Isaline Dupond Jacquemart

























Avril 2024 au Bonjour Madame (Paris)
Open Mic “Micro-Mutant⸱es ”
Organisée par le Laboratoire Corps, genre, art.
Lecture et déambulation
(15 minutes)

Photographies de Colette Génoise



Extrait de mon journal,
Rencontre entre Fatale et Baubô, l’union des salopes qui prennent soin 


Selfie en Baubô, avril 2024
 
Chapitre 2 : Je veux être ta Baubô et que tu sois la mienne, avec Joyce Rivière