 Performances

Baubô baragouine



Tentative de performance introduite par la lecture du poème figurant dans la notice “Baubô”, co-signée avec Claire Salles dans le Brouillon pour une encyclopédie féministe des mythes .


Création en juin 2023 à Mains d'Œuvres (Saint Ouen)
Exposition collective “Not all mythes ? Journée joyeuse et féministe autour des mythes” des Jaseuses

Récitation et déambulation 
La tentative devra avoir lieu dans un espace propice au calme et à l'intimité, dont il doit être possible de sortir facilement en cas de gêne
La tentative s'adresse aux femmes mais tout le monde peut y assister

(Environ 15 minutes)




Photographie par Vanessa Ardouin



Baubô amie. Elle est celle qui fait rire Déméter lorsque celle-ci est désespérée. C'est une amie qui permet d'avancer quand on est face à l'obscurité, quand on perd le goût de la vie, quand plus rien ne pousse. Son rire est jugé absurde, laid et lubrique. Ici je l'associe à la joie, au soin, à l'amour de soi et aux amoures déviantes. J'adresserai cette performance à mes amies mes amoures, j'aimerais les faire rire.


Baubô fem. Baubô est associé à une féminité obscène et impudique. Son sexe “maquillé en visage” (chez Salomon Reinach, 1912) associé à son rire “grimace”, font ensemble signe du côté du monstre. Cette féminité monstrueuse résonne avec les identités lesbiennes fem, performant des féminités outrancières qui débordent de tout cadre normatif et adressées à soi et/ou à d'autres femmes. Ma version de Baubô est high fem , « diva déesse », excessivement et monstrueusement féminine. Je porterai ma robe patineuse dorée, je montrerai ma vulve avec malice à d'autres femmes.


Baubô parle. 
Si Baubô est surtout caractérisée par un geste (elle montre sa vulve), elle est aussi définie par son rire, et le parallèle entre ses deux « bouches » est évident. L'étymologie de Baubô peut renvoyer à une onomatopée dérivée de l'aboiement du chien (Georges Devereux, 1983), symbole d'un langage inarticulé volontiers associé du même coup à celui des animaux et des femmes. Baubô bavarde, baragouine, aboie pour ne rien dire. Si elle ne parle pas dans la version originale du mythe, ici oui. J'ai saisi l'opportunité de réparer ma relation à ma bouche, et aussi je tente de prendre la parole. Je dirai mon texte à voix haute, malgré la peur et les tremblements, je montrerai ma bouche abîmée.  




Selfie en Baubô, avril 2023


Inspirations amies :

Deborah de Robertis, Miroir de l'origine, performance, Musée d'Orsay, Paris, 2014

Annie Sprinkle, Public Cervix Announcement, performance, New York, 1990

Itziar Ziga, Devenir chienne, Cambourakis, Paris, 2020

Hélène Gugenheim et Lucile Olympe Haute, Nous sorcières nous performeuses, “Et de nos bouches sortent des diamants, des crapauds et des rires”, Crest, 2020

GYNEpunk, groupe d'activistes féministes queer catalan-es

lou dimay, “Je rétrécie”, texte offert, 2023



Photographie par Sophie Benard


(je lis assise au sol, les jambes en losange)

« Je dessine Baubô légère et l'air serein, sur un pied et le manteau tombé, comme une diva déesse.
Baubô rigole doucement, Baubô s'en fout, Baubô se trouve drôle et belle. Baubô danse, Baubô flotte. Baubô me fait rire, me porte chance et me porte joie.
Si Baubô leur fait peur alors tant pis pour eux.
On dit qu'elle repousse les démons. Sur les murs des églises, elle s'appelle Sheela na gig. Je la cherche en Irlande. Je ne la trouve pas, je l'aime encore plus - je me dis que je dois être un démon. Les yeux plissés, la vulve rieuse, au-dessus de mon miroir de poche.
Je raconte aux cop(a)ines, leur montre, je me sens un peu Baubô. »


            

Selfie en Baubô, avril 2023


J'ai envie de rire. J'ai envie de joie. J'ai envie de jouer. J'ai envie de porter ma robe à paillettes. Comme une diva déesse. (Qui montre ses fesses) (enfin sa chatte).

J'y trouve de la puissance et je voudrais te la partager.

Baubô c'est la chatte. Mais vraiment, la teuch, la vulve. Baubô en grec, peut signifier utérus ou vulve.

Mais Baubô c'est aussi la chienne. Baubô Bau Bau Aow Aow Wouf Wouf (je fais la petite chienne) Baubô c'est l'aboiement, le langage des animaux bêtes, inarticulé et impudique. (je fais la petite chienne) C'est tout ce qu'on bavarde et tout ce qu'on jacasse quand on se retrouve en terrasse et qu'on rit, et qu'on piapiapia et blablabla parce qu'on ne s'est pas vues depuis longtemps et qu'on a plein de choses à se dire.

(je me lève peut-être)


(je remonte ma jupe mais pas complètement)

Je n'essaie pas de te mettre mal à l'aise. Je te demande pardon si c'est le cas. Tu peux simplement regarder, être interdite, gênée, confuse, c'est OK. Tu peux rire, j'ai envie de glousser avec toi. Tu peux détourner les yeux et puis ça m'ira très bien aussi.


Je montre mon sexe et je montre les dents. Pour rire.


(je circule dans l'espace jupe relevée sur sexe nu, je grogne joyeusement)


Je n'ai pas de bonnes dents. Elles tombent. Ma bouche est le lieu de toutes mes inquiétudes. Ma mâchoire, le lieu de toutes mes angoisses. Tu ne les vois pas mais ma bouche est pleine de cicatrices. Ma langue est épaisse et abîmée. Elle a été coupée et recousue. Parfois j'ai honte, j'ai peur de rire, de sourire, d'embrasser. J'ai peur de puer, je fais des bains de bouche, je mange des tictacs et j'ai peur des dentistes.

Je ne formule pas de jugement à propos de ma vulve. J'en ai perdu l'habitude mais je l'ai fait longtemps, je me souviens les lèvres trop grandes la peur d'être différente et cet abruti qui m'avait dit que j'avais UNE GROSSE CHATTE et j'en avais pleuré.
Mais j'avais su te trouver. Je t'avais raconté et tu m'avais raconté, on avait baragouiné pendant des heures, et puis après ça allait mieux, ça m'avait fait du bien de te dire.



J'ai mis de l'huile sur mes poils et du baume sur mes lèvres.


Régulièrement, je contemple. Accroupie au-dessus de mon miroir de poche. Debout devant mon miroir en pied. Ou bien je fais une photo pour voir.

Je voudrais être Baubô. Baragouiner toute la journée, rire pour rien et relever mes jupes pour déconner. Pour te faire rire, pour te faire sourire. Pour me faire rire, pour me faire ouvrir la bouche, grand et large, immense avec mes dents pourries tout autour et m'en foutre !! Et que ça nous fasse du bien !


Je n'ai pas honte.


(je circule dans l'espace jupe relevée sur le sexe nu, je montre ma langue et l'intérieur de ma bouche)


Après l'opération je baragouinais un peu trop. On m'a fait faire des séances d'orthophonie pour réapprendre à parler. Les D et les T ça a été le plus dur, ma langue coupée ne savait plus les faire, alors je devais répéter chaque soir :

DÉDÉ DÉVALE LA PENTE À DOS D'ÂNE

Il fallait le dire comme ça, plusieurs fois et il y avait une suite mais je ne m'en souviens pas, c'était long.

J'avais 15 ans, j'étais à l'internat et tous les soirs les 25 copines du couloir du deuxième étage du bâtiment des secondes m'entendaient parler de DÉDÉ en rigolant. On vivait chacune dans 8 m², des rideaux bleus en guise de portes. Il y avait des dramas et des engueulades, il y avait des rumeurs et des confidences, j'avais mes premiers crushs mais je ne le disais à personne, il y avait des rires et des cris, on faisait des farces, on baragouinait à longueur de semaines, on mangeait, dormait, se lavait les dents ensemble. Intimité zéro, c’était génial, c'est là que j'ai grandi.


Depuis que j'ai grandi, je ne porte plus de jeans car ça m'asphyxie la vulve. Depuis qu'on m'a réappris à parler, je n'ouvre pas bien la bouche et j'ai peur de ma voix. J'hyperventile ou je me tais ou bien j'ai les larmes aux yeux alors que je voudrais hurler, rire, gueuler, ou simplement prendre la parole. Je ne sais pas exactement ce qui asphyxie ma bouche mais j'entreprends aujourd'hui de m'en défaire. Je veux respirer mieux, je veux parler mieux, je veux rire plus.


Je veux PRENDRE PAROLE

Les pieds bien ancrés dans le sol 

L'air me traverse 

Le son me traverse

Je te l'adresse



(je circule dans l'espace jupe relevée sur sexe nu, et cette fois je parle en même temps)


J'ai mis de l'huile sur mes poils et du baume sur mes lèvres. Je me nourris et je me trouve belle. Comme une diva-déesse (qui montre ses fesses).


Grâce à Baubô on se réconcilie 

Grâce à Baubô on prend parole 

Grâce à Baubô on se dit les choses

Je voudrais te dire que nos gouineries nos baragouineries m'enchantent

Je voudrais te dire que tu me plais 

Je voudrais te dire que tout ira bien 


De ma bouche je te le dis : je t’aime

De ma bouche je te la donne : la joie !




Photographies par Isaline Dupond Jacquemart


Oeuvres visibles en arrière plan : Elena Moaty, Armée de sirènes, 2017-2020
Maud Cazaux, Sans titre / Lolita, série, 2019-2020



Avril 2023 au Bonjour Madame (Paris)
Soirée open mic “Micro-mutant·es” du Laboratoire corps genre art
Lecture et déambulation
Texte légèrement modifié 










Fatale et Baubô, l’union des salopes qui prennent soin